Pourquoi certains Etats – comme la France – arrivent-ils à s’endetter à des taux négatifs ? La réponse réside dans la volonté de certains investisseurs non pas de gagner plus d’argent mais plutôt de mettre ce qu’ils ont déjà en « lieu sûr ». A leurs yeux, un Etat doté d’une bonne gouvernance constitue un abri fiable pour leurs avoirs. Et ils sont prêts à payer pour que cet Etat fasse office de « coffre-fort ». Les taux négatifs reflètent, d’une certaine manière, les « frais de location » du coffre-fort en question.
Sauf que les Etats ne sont pas les seuls à bénéficier de taux bas ou négatifs. Les banques et les investisseurs sont nombreux à proposer à leurs clients des crédits à des taux faibles voire négatifs du moment que leur argent est « à l’abri ». La démarche peut étonner, mais elle a pour but d’éviter d’accorder des crédits à des taux encore plus négatifs à des entreprises. Les investisseurs ne souhaitent pas non plus payer pour le placement de leur argent auprès de la Banque centrale européenne, qui impose des taux d’intérêt trop faibles.
Parmi les cas les plus connus figure notamment celui de la banque danoise Jyske Bank. L’établissement propose à sa clientèle un crédit sur dix ans à un taux négatif fixe de -0.5 %. Si un client obtient par exemple un emprunt de 1 million €, il remboursera dix ans plus tard 999 500 €.
Les épargnants sont nombreux à voir dans les taux négatifs de belles opportunités à ne pas manquer. C’est tout le contraire, en réalité. Car ces taux négatifs prennent sur les économies des clients de ces banques. Concrètement, avec un taux de livret A qui stagne à 0.75 % et une faible probabilité de revalorisation à court ou moyen terme, les taux des livrets bancaires augmentent, pouvait atteindre en moyenne 0.26 % en France. Il est également important de rappeler que le rendement moyen de l’assurance-vie en euros, qui a atteint 1.8 % en 2018 avant fiscalité, ne pourra plus servir de bouclier pour l’épargnant en cas d’inflation dont le taux s’est lui aussi élevé à 1.8 % la même année. Avec l’inflation qui entre en ligne de compte, l’épargne financière dans la zone euro offre en somme un rendement faible ou même négatif.
Les épargnants ne sont pourtant pas au bout de leur peine, car ils devront payer pour mettre leur argent à l’abri – comme les investisseurs qui « payent » l’Etat français pour garder leur argent. En Suisse par exemple, les dépôts d’argent dans de nombreuses banques sont désormais payants, le pays ayant anticipé la baisse des taux dans la zone euro. Parmi les établissements qui facturent les dépôts d’argent, on retrouve par exemple Crédit Suisse qui demande un taux de 0.4 % à chaque client qui effectue un dépôt dont le montant dépasse 1 million €. UBS fait de même mais applique un taux à 0.6% pour chaque client qui conserve plus de 500 000 € sur son compte courant ; la banque réclame en outre une « taxe » de 0.75 % pour tout dépôt d’un montant supérieur à 2 millions de francs suisses. A noter que cette politique s’applique dans d’autres filiales d’UBS, les gros investisseurs étant prêts à renoncer à une petite partie de leur capital du moment que celui-ci est à l’abri.
Pour justifier sa politique de ponction de l’argent de ses clients, UBS explique que les taux resteront bas encore longtemps et que de ce fait, les établissements bancaires continueront à payer des taux négatifs sur les dépôts de leurs clients placés à la banque centrale.
Les banques françaises partagent le même constat mais assurent qu’elles n’iront pas jusqu’à faire payer les clients pour les dépôts d’argent. Jusqu’à quand seront-elles en mesure de tenir cette promesse ? Est-elle seulement tenable ?